Stop telephoning me !

« Salut, on se voit toujours ce soir ?
- Oui, oui, je serai vers 1h chez toi.
- Parfait ! »

Simple, rapide, efficace, le Bohémien n’appelle que pour me voir presque immédiatement, ou en début de semaine pour fixer un jour puisqu’il sait que j’aime bien m’organiser. Lundi soir, alors que je prenais un verre avec Lorraine, je lui avais dit que je le préviendrais si je rentrais relativement tôt chez moi. A mon retour, j’avais appelé pour dire qu’on se verrait plutôt une autre fois, et nous étions tombés d’accord sur hier soir, étant libres tous les deux. Nos échanges téléphoniques dépassent rarement la minute, et encore, ça n’arrive que quand on a un problème d’agenda.

Il y a quelques mois encore, je n’avais pas compris que le téléphone pouvait être terriblement ennuyeux. Mr. VIP m’a largement aidé à m’en rendre compte, comme il m’appelait régulièrement pour savoir si j’étais libre le week-end suivant, et par la même occasion me raconter que son vol avait été retardé et qu’en plus il fallait qu’il passe dans un magasin de je-sais-pas-quoi pour acheter un truc vital. Il me posait aussi beaucoup de questions sur ma semaine, mon boulot, comme j’allais, etc. J’ai rapidement arrêté de répondre à ses appels, lui envoyant un mail le lendemain pour m’excuser de ne pas avoir pu répondre et en profiter pour glisser deux ou trois trucs salaces. Petit à petit, il a pris le pli, et les appels ne sont réservés qu’aux informations concrètes genre heures et lieux de rendez-vous. Trente secondes maxi.

Le fait est qu’en dehors des rendez-vous, je n’aime pas trop parler avec ces messieurs. Je n’aime pas les blancs au téléphone, et la plupart de leurs histoires de la vie quotidienne m’ennuient quand je suis habillée, seule, debout dans mon salon en train de fumer. Donc communication exclusive par textos (parce qu’on est trop djeun’s) ou mail pour certains, mais avec obligation de sous entendus salaces, sinon c’est chiant.

Mercredi 1er septembre. Il est 19h. Je me dirige d’un pas décidé chez le coiffeur pour mon rendez-vous soin-papouilles, le sourire aux lèvres malgré la pluie qui rend difficile la combinaison parapluie-mp3-cigarette. D’ailleurs où est mon feu ? Je m’arrête à l’abri, ferme le parapluie et m’apprête à demander du feu quand mon téléphone sonne, celui que je n’entends jamais pour cause de vibrage trop discret et de mp3 trop fort. Je décroche sans regarder.

« Salut la naine ! » Le Soufflé… Bizarre, je pensais qu’il était en vacances jusqu’à dimanche…
« Ca va ?
- Oh bah oui… Et toi ?
- Moi, tout va bien, je suis à la plage jusqu’à dimanche ! »

Je confirme : il est à la plage jusqu’à dimanche et moi je suis sous la pluie, sans feu. Il me raconte un peu sa vie, me dit qu’il a réussi un exam interne dans son entreprise, qu’il n’a pas envie de rentrer parce que quand même, la plage, c’est bien. Du grand Soufflé, une merveilleuse conversation. Je suis étonnée mais surtout complètement incapable de lui demander ce qu’il peut bien me vouloir et en quoi je peux lui être utile, à 500km et sous la pluie, tellement il ne la ferme pas. J’acquiesce, je ris, je fais « Oh ! Trop bien ! » quand enfin il prononce la phrase magique : « Je t’appelle la semaine prochaine pour qu’on se voit ? » Voilà, parfait, à la semaine prochaine !

Venant de lui, le coup de fil à base de « Je suis à la plage et je te raconte ma vie » ne me surprend qu’à moitié : il raconte déjà sa vie dans ses textos. Je continue donc tranquillement mon chemin, après avoir trouvé du feu, remis mes écouteurs et ouvert mon parapluie pour braver la flotte qui a décidé de foutre en l’air ma sortie de chez le coiffeur.

Il est 20h. Je suis au bac à shampoing enturbannée dans de la cellophane riant gaiement aux gayeries de l’assistant de mon coiffeur, celui qui me fait la causette pendant la demi-heure où je suis condamnée à avoir une tête de reste de plat de pâtes en phase pré-frigo. Mon téléphone sonne : le DJ. Ma plastification m’empêche de décrocher, je le rappellerai plus tard, une fois que j’aurai bravé la pluie et re-séché mes cheveux.

« Salut ma belle, ça va ?
- Bien et toi ?
- Bah super, je suis à la plage ! »

C’est un cauchemar…

« Ah ouais ?
- Ouais, on m’a engagé pour deux soirées, lundi et jeudi, et du coup ça me fait une semaine de vacances avec hôtel payé et tout, en plus de la blinde qu’on me paye pour faire mon job ! »

Super. Pendant que certaines ont fait tout leur possible sur le chemin sur retour pour 1- ne pas trop se mouiller et 2- résister à l’appel de Séphora et autres dérivés afin de ne pas claquer des fortunes dans des produits qui, certes, ne sont pas vitaux mais agrémentent le quotidien (surtout quand il pleut), le DJ est en train de se péter le crâne à coup de mojitos sur la plage privé de son hôtel payé par je ne sais quelle boîte. Il a cru bon de me donner beaucoup de détails…

« On peut se voir la semaine prochaine ? Ou même dimanche tiens…
- Euh.. Oui, dimanche, c’est bien. Mais tu sais que je bosse le lendemain.
- Ah non mais moi je bosse dimanche soir ! (horaires à la con…) Je pensais te voir avant. Je t’invite à déjeuner et on passe l’après-midi ensemble ? »

Je me suis un peu radoucie : la perspective d’un après-midi au lit avec le DJ après un déjeuner me plaît. Mais il n’est que 21h30, et ces deux appels m’ont épuisée. J’ai fait le tour des appels probables à cette heure-ci : le Bohémien, impossible, on s’est vu hier et ce soir il n’est pas dispo. Puis j’ai pensé à Mr. VIP, qui habite… Au bord de la mer.

Par précaution, j’ai donc éteint mon téléphone.